L’opération Barbarossa : le début d’une guerre d’anéantissement

Il y a 80 ans, le 22 juin 1941, l’armée allemande envahissait l’URSS, mettant fin au pacte germano-soviétique. C’est un déchaînement de violence. En 200 jours, des combats particulièrement sanglants provoquent la mort de 5 millions de personnes.

“Devant nous deux villages brûlent. Les habitants ont été complètement surpris par l’attaque et la plupart n’ont pas eu le temps de fuir. L’image la plus horrible : un enfant de 3 ans, couché sur la route, la moitié du crâne en moins.“ Le 22 juin 1941, c’est par ces mots, que le soldat allemand Alexander Cohrs, âgé de 30 ans, décrit l’avancée de l’armée du IIIe Reich qui vient de pénétrer en URSS*. Le calvaire de la population soviétique vient de débuter. Avec l’opération Barbarossa, nommée en référence à l’empereur Frédéric Barberousse, une guerre absolue est lancée.

Adolf Hitler a fait voler en éclats le pacte de non-agression germano-soviétique signé le 23 août 1939. Un an jour pour jour après l’armistice conclu avec la France, alors que ses tentatives de paix avec le Royaume-Uni ont échoué, le Führer décide d’ouvrir un front à l’Est. « Qu’il demeure en guerre après l’effondrement de la France met par terre toute la stratégie d’Hitler. Il improvise un nouveau plan, qui repose sur la conquête et la destruction de l’URSS, magnifique occasion pour lui de réaliser son utopie du Lebensraum », résume à France 24 l’historien Jean Lopez, auteur avec Lasha Otkhmezuri, de « Barbarossa. 1941. La guerre absolue » (Éditions Passés composés).

L’opération Barbarossa est la plus grande offensive de la Seconde Guerre mondiale. L’un de ses objectifs est de permettre au IIIe Reich de se saisir de territoires destinés à fournir « l’espace vital », déjà mentionné par Hitler dans « Mein Kampf« . « De façon à pouvoir faire face à une guerre générale et très longue contre les Anglo-Saxons pour laquelle, sans l’URSS, le Reich ne dispose pas des ressources minérales et de la main-d’œuvre nécessaires », précise Jean Lopez.

Pour l’historien britannique Richard Overy de l’Université d’Exeter, le dictateur allemand comptait également éliminer préventivement toute menace venue de l’Est : « L’expansion soviétique dans les États baltes, la Roumanie et la Pologne, ainsi que les demandes d’influence russes en novembre 1940 sur la Bulgarie et les détroits turcs avaient fait comprendre à Hitler que Staline posait un sérieux problème stratégique », estime l’auteur de « Russia’s War. A History of the Soviet Effort » (Éditions Penguin Books). « L’Union soviétique était aussi le foyer du judéo-bolchévisme [NDLR: une allégation conspirationniste au cœur de l’idéologie nazie] . En écrasant les forces soviétiques, il comptait faire en sorte que la menace du communisme ne plane plus au-dessus de l’Allemagne et l’Europe. »

Une lutte à mort 

Du côté russe, c’est le silence à l’annonce de l’attaque. Staline est incrédule. « N’est-ce pas une provocation des généraux allemands ? […] Hitler n’est certainement pas au courant de tout cela », dit-il à la direction soviétique aux premières heures du 22 juin*. « Il hésite durant quelques heures en se demandant s’il s’agit d’une « vraie » guerre ou d’un appel musclé à des négociations, voire à une provocation », décrit Jean Lopez.

Résultat, durant les premiers jours, les Soviétiques enregistrent des pertes colossales et l’armée allemande semble au sommet de sa puissance. Des millions de soldats soviétiques sont encerclés, privés d’approvisionnement ou de renfort, et contraints à la reddition. Le régime stalinien se déchaîne aussi sur ses propres hommes. Le NKVD, la police politique, a pour ordre de fusiller tout soldat ou officier suspecté de « lâcheté » ou d’ »abandon de ligne ». À l’arrière, les déportations et les condamnations aux travaux forcés se multiplient pour tous ceux qui sont suspectés de manquer de patriotisme.

Sur le front, 10 millions d’hommes, 30 000 avions, 25 000 chars s’affrontent dans une lutte à mort. « Il faut nettoyer chaque maison à la grenade. Des fanatiques nous tirent dessus jusqu’à ce que le toit s’effondre sur leur tête et les ensevelisse dans les décombres. […] En une heure, le village s’est transformé en un océan de flammes. Nos soldats détruisent et tuent sans merci », a raconté le soldat allemand Hans Rother sur la violence des combats en Ukraine*.

Mais selon Richard Overy, ces premiers succès de la Wehrmacht sont trompeurs : « L’armée rouge était très mal préparée aux frontières et cela a été très difficile d’établir et de coordonner une ligne de défense », estime ce spécialiste de la Seconde Guerre mondiale. « Les forces allemandes ont cependant connu très rapidement des difficultés logistiques tout en devant passer beaucoup de temps à nettoyer des poches de résistance et en subissant des confusions stratégiques en provenance du QG d’Hitler. »

Le souhait du chef nazi de remporter la bataille en trois mois finit par s’évanouir. En fin d’année, la victoire semble bien loin. L’Union soviétique ne s’effondre pas. « Il n’y a pas de tournant militairement parlant mais une usure continue de la Wehrmacht. Son échec est acquis un peu avant la contre-offensive soviétique de décembre, qui engrange les bénéfices stratégiques de l’épuisement allemand », analyse Jean Lopez. L’armée allemande ne réussit pas son plan pour cause de soucis logistiques, d’une résistance imprévue d’un adversaire considéré comme plus faible, mais aussi en raison de son comportement vis-à-vis des populations locales.

L’extermination des communautés juives 

D’abord accueilli en libérateurs par certains, les Allemands n’apportent pas les réformes attendues. Pire, ils se lancent dans des tueries massives. De nombreux prisonniers de guerre soviétiques, détenus dans des conditions abominables, perdent aussi la vie. En l’espace de 200 jours, 5 millions de personnes trouvent la mort. « Hitler lance une guerre d’anéantissement », résume l’historienne Marie Moutier-Bitan. « Un décret du 13 mai 1941, signé par Wilhelm Keitel, accorde une amnistie préventive pour les crimes que commettraient des soldats allemands à l’encontre de la population civile sur le sol soviétique. Il donne également les mains libres aux officiers de l’armée pour entreprendre sur le champ répressions et représailles contre les civils au moindre soupçon, sans enquête ou jugement préalable. »

Très vite, alors qu’un antisémitisme virulent sévit au sein des unités allemandes et de leurs alliées engagées à l’Est, l’opération Barbarossa marque une nouvelle étape dans l’élimination desjuifs d’Europe : « Durant les trois premières semaines de l’invasion, exécutions de Juifs et pogroms se multiplient, comme à Kaunas ou à Lvov. Les 3 000 hommes des Einsatzgruppen (unités mobiles d’extermination) ont pour mission d’éliminer les potentiels opposants, en première ligne les gens du Parti et les Juifs soupçonnés de soutenir le régime soviétique. Très rapidement, ces fusillades s’étendent à de larges pans de la population juive », précise l’auteure de « Les champs de la Shoah. L’extermination des Juifs en Union soviétique occupée, 1941‑1944« (Editions Passés Composés). Au total, en seulement quelques mois, plus de 500 000 Juifs sont massacrés entre le 22 juin et la fin de l’année 1941.

Au-delà de ce déchaînement de violence, l’opération Barbarossa représente bien l’un des tournants militaires de la Seconde Guerre mondiale, mais elle ne signifie pas pour autant la défaite d’Hitler. « Pour cela, il faudra encore trois ans et demi de combats sanglants », souligne Jean Lopez. Le Führer finira par se suicider le 30 avril 1945, à Berlin, dans son bunker, assiégé par les soldats soviétiques.

*Cité dans « Barbarossa. 1941. La guerre absolue », de Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, éditions Passés Composés.

(SELON MSN)

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