Paris « Ex Africa », un art d’Afrique vivant et politique au Quai Branly

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l y a toujours quelque chose de nouveau qui vient de l’Afrique », disait l’historien romain Pline l’Ancien (« Ex Africa semper aliquid novi »). Cette phrase, présente dans l’exposition Ex Africa, Présences africaines dans l’art aujourd’hui, au quai Branly, résume bien le fond de cette œuvre collective au propos très politique. Œuvre collective, parce que si le journaliste et commissaire Philippe Dagen a fédéré les forces, de nombreux artistes ont réalisé pour cette occasion des œuvres inédites. Une façon de dire, que non, l’art africain n’est pas en dehors de l’Histoire, qu’il est loin des représentations passéistes et figées que l’on donne de lui. Qu’en somme, il crée.

Pour démonter ces clichés, Philippe Dagen a choisi de s’attaquer au premier des maux, celui par lequel le malentendu commença : l’idée de primitivisme. C’est ainsi que l’on voyait encore les choses en 1984, quand le MoMa, le musée d’art moderne de New York, exposa des œuvres sous le titre « Primitivism », définissant l’art africain comme « un pourvoyeur commode de formes dans lesquelles on puise sans se demander comment les objets sont arrivés en Europe », comme le résume le commissaire d’exposition.

« Dans primitivisme vous avez primitif »

« Nous avons voulu montrer que contrairement à une certaine manière de voir l’histoire de l’art, les arts de l’Afrique ne devraient plus être considérés exclusivement en fonction de ce qu’ils ont apporté aux arts occidentaux, explique Philippe Dagen. Ce qui est le récit habituel, où l’on ne parle d’art africain que lorsque l’on parle du cubisme. L’art africain est automatiquement indexé à une histoire européenne. Aujourd’hui il n’est plus possible de continuer à penser en ces termes. »

Picasso, Braque, et les artistes du début du XXe siècle ont certes été les premiers artistes à porter un regard non disqualifiant, non méprisant sur les masques et statuettes que ramenaient, sans les comprendre, les marchands d’art. « Mais ils n’avaient pas les moyens de comprendre les fonctions religieuses, morales, politiques que ces objets avaient dans les cultures dont ils étaient issus », précise à 20 Minutes Philippe Dagen. Qui ajoute : « Dans primitivisme vous avez primitif, c’est une sorte de jugement hiérarchique qui est sous-entendu, il y aurait les primitifs d’un côté et les modernes, les civilisés de l’autre. On reproduit une sorte de hiérarchie entre les cultures qui ressemble à ce qu’on appelait la hiérarchie entre les races. »

Illusion ludique

A partir des années 1980, des artistes vont s’opposer à cette vision. Comme A.R. Penck, Antoni Clavé et Jean-Michel Basquiat, dont on peut admirer au quai Branly le Grillo plein de couleurs, qui se veut un griot portant la mémoire de l’esclavage. Dans les années 2000, la critique se fait encore plus frontale, se moquant de cette récupération occidentale qui commercialise les masques sacrés comme on produit des hamburgers. La salle dédiée à la collection Chapman, des artistes Dinos et Jake Chapman, est un pied de nez rieur et savoureux pour les visiteurs et visiteuses. En s’approchant des totems et statues aux allures hiératiques, on distingue une frite dans une main, un sandwich à la place d’une tête, et un Ronald bien ancré sur son socle, sceptre à la main… L’illusion est ludique, le message limpide.

Plus loin, cette chosification est dénoncée sous la forme d’objets totemisés. Un masque de plongée et une taille-haie électrique intitulée Black et Decker sont érigés sur un socle par Bertrand Lavier, figures aussi absurdes que le tas de masques désincarnés accumulés sans vie au sol par Théo Mercier.

Une spirale de sandales de migrants

Il y a d’autres manières pourtant de faire vivre ces formes anciennes qu’en les pillant et en les vidant de leur sens, avance l’exposition. C’est ce que Philippe Dagen appelle « l’activation », qu’il oppose à la « citation » : « Quand un langage plastique nouveau se saisit en totale liberté des formes proposées par les arts anciens. » Le journaliste cite la spirale Non Retour de Romuald Hazoumé, dessinée par l‘accumulation de sandales en plastique de migrants toutes couleurs, délavées par l’eau salée. Plus loin une série de photos de Leonce Raphael Agbodjelou dénonce le Code noir – c’est aussi le nom de l’œuvre –, cet ensemble de textes juridiques établissant l’esclavage, en un triptyque où la pauvreté matinée de verdure tranche avec les espérances brandies par un habitant, dans la photo que l’on devine être celle d’un de ses ancêtres.

Si l’on devait résumer cette exposition en un seul but, un seul objectif, pour Philippe Dagen, ce serait celui-ci : « Montrer qu’il y a des artistes qui prennent en charge des réalités contemporaines – migrants, spoliations, corruption, exploitation – et qui parlent à leurs contemporains » non en pillant les formes d’art anciennes, mais en « connexion, en connivence, en amitié » avec elles. Si le regard sur les arts d’Afrique est encore loin d’être égalitaire, avec Ex Africa, il en prend le chemin.

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