Mers de Chine: quels risques de guerre entre Pékin et Washington ?

Face au déploiement de navires chinois, les Philippines ont une fois de plus dénoncé, samedi 29 mai, la « présence et les activités illégales » en mer de Chine du Sud. Par ailleurs, dans un sommet virtuel jeudi 27 mai, le Japon et l’Union européenne ont appelé à « maintenir la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan ». Les tensions augmentent dans les mers de Chine et en filigrane, les risques de conflit entre la Chine et les États-Unis. Mais comment les évaluer ?

12 mars 2034. En quelques heures, un destroyer américain est coulé par la marine chinoise en mer de Chine du Sud et un aviateur de l’US Air Force fait prisonnier par l’Iran. Que s’est-il passé ? Une cyberattaque coordonnée par Pékin et Téhéran. La domination stratégique des États-Unis est en miettes. Tel est le point de départ de 2034, un récit de la prochaine Guerre mondiale, de James Stavridis et Elliot Ackerman, sorti en mars dernier. « Le scénario est très probable », avertit Stavridis, amiral américain à la retraite et ancien commandant des forces alliées de l’Otan.

Faut-il donc le croire ? Retour à la réalité : début avril, le destroyer lance-missiles USS Mustin a été « mis en garde » près des côtes chinoises lors d’une opération de « reconnaissance rapprochée » du porte-avions Liaoning. Entre Pékin et Washington, le dialogue est au point mort. Malgré les demandes répétées du Pentagone, le général Xu Qiliang, vice-président de la commission militaire centrale, a refusé de rencontrer Lloyd Austin, le nouveau secrétaire américain à la Défense. Jeudi 27 mai, Tan Kefei, le porte-parole du ministère chinois de la Défense, a enfoncé le clou : la stratégie Indo-Pacifique de Washington « entraîne la région sur une pente dangereuse ».

Excepté la lutte contre le changement climatique, rien ne va plus entre la Chine et les États-Unis. Les tensions s’accumulent, en particulier en mer de Chine. Les deux puissances sont-elles au bord de la guerre dans cette région du monde ? Les craintes sont réelles. Voici les points de friction à surveiller.

Taïwan : l’ambiguïté américaine

Depuis 2019, la Chine a considérablement intensifié sa pression aérienne et maritime dans le détroit de Taïwan. Xi Jinping et le Parti communiste ont juré de mettre à genoux « la province rebelle », à l’usure ou par la force si nécessaire. Pour Xi, la réunification n’attendra pas la prochaine génération.

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Cependant, « la Chine n’a pas encore la capacité de remporter avec certitude une guerre contre Taïwan »affirme Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie de l’Institut Montaigne. En cause, le coût humain exorbitant d’une opération amphibie sur les côtes taïwanaises. Ce débarquement interviendrait certes dans un second temps après la destruction des centres de commandement, des bases aériennes et des ports, après des cyberattaques pour neutraliser les défense de l’île et la prise de contrôle de l’espace aérien. Mais l’issue de l’opération reste encore incertaine pour Pékin, qui ne maîtrise pas un facteur de taille : la réaction américaine.

« Le scénario le plus probable, poursuit Mathieu Duchâtel, ce sont deux ou trois moments de crise sur dix ans qui conduisent la Chine progressivement vers son but. Chaque crise devra amener des gains. Il est important pour Pékin de tester la détermination de Taïwan et des Américains à résister. »

Que comptent faire les États-Unis de Joe Biden ? Par une loi de 1979, le Taiwan Relations Act, ils sont tenus de livrer à Taipei de quoi se défendre contre une agression de Pékin, tout en acceptant le « principe d’une seule Chine ». Mais en cas d’invasion chinoise, voleront-ils au secours de Taïwan ? L’Amérique est toujours restée ambiguë. Au point de systématiser une politique : « l’ambigüité stratégique ».

Sur Taïwan, Joe Biden n’a pas rompu avec Donald Trump, en envoyant lui aussi des émissaires de haut rang serrer la main de la présidente Tsai Ing-wen. En avril, il a levé davantage de restrictions aux contacts de haut niveau avec les responsables taïwanais. Il a même fait condamner par le G7 les « intimidations de la Chine contre Taïwan ». Joe Biden est-il sur le point de clarifier sa politique taïwanaise ?

C’est ce que demandent depuis trois mois plusieurs hauts gradés à Washington. Devant le Sénat le 9 mars, l’amiral Philip Davidson, ancien commandant des forces américaines pour l’Indo-Pacifique, a lancé un avertissement : la Chine « développe des systèmes, des capacités et une posture qui indiquent qu’elle prépare une agression » de l’île dont elle pourrait prendre le contrôle « dans les six années à venir ». Pour l’ancien amiral James Stavridis, l’ambiguïté stratégique « pourrait mener à des erreurs de jugement de la part des Chinois (ou des Taïwanais) et déclencher un conflit plus large. »

Ce n’est pas l’avis de l’administration Biden. Notamment Avril Haines, directrice du renseignement national : abandonner l’ambigüité stratégique serait « profondément déstabilisant pour la Chine, défend-elle. Cela consoliderait l’idée chez les Chinois que les États-Unis sont déterminés à empêcher la montée de la Chine, y compris par la force militaire, ce qui conduirait sans doute Pékin à entraver les intérêts américains dans le monde entier. » Du point de vue de Taipei, ajoute Avril Haines, une clarification américaine pourrait encourager davantage les velléités de déclarer l’indépendance formelle de l’île, un casus belli absolu pour Pékin.

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Selon Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, « avec Taïwan, les garanties de sécurité sont implicites ». Une position confirmée début mai, par Kurt Campbell, le coordinateur de la politique Indo-Pacifique de la Maison Blanche. À ses yeux, Washington et Pékin partagent la même appréciation : le maintien d’un certain de degré de statu quo autour de l’île est dans l’intérêt des deux puissances.

Mer de Chine du Sud : le facteur philippin

Région très étendue, la mer de Chine du Sud équivaut à la moitié du continent américain. Elle regorge de poissons, de plateformes pétrolières et de porte-conteneurs. Elle accueille un tiers du commerce maritime mondial. Sur plus de 80% de cette zone, Pékin revendique une souveraineté « historique ». Inacceptable pour les autres pays qui y possèdent des îles : le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Bruneï et l’Indonésie. Début février, la Chine a promulgué une nouvelle loi sur sa police maritime. Elle dote ses garde-côtes d’« armes lourdes » pour répondre à des « incidents de violence grave » dans les eaux qu’elle revendique. Sueurs froides.

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Car des navires de guerre de toutes nationalités croisent sans cesse dans la région. La flotte américaine, en particulier, y conduit des opérations de « liberté de navigation ». Washington refuse de laisser à Pékin la mainmise sur cette zone stratégique. Les risques d’incidents sont omniprésents. La collision aérienne en 2001, entre un avion chasseur chinois et un avion de reconnaissance américain, avait causé la mort d’un pilote chinois. En 2018, le porte-avions américain USS Decatur et le destroyer chinois Lanzhou ont échappé à une collision à 41 mètres près.

Entre Pékin et Washington, le risque, c’est « une erreur, pointe François-Xavier Bonnet, chercheur à l’Irasec, l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine. Si un navire américain se trouve illuminé par un radar chinois et qu’un missile est envoyé directement après l’illumination, il peut y avoir une réplique des États-Unis. Une guerre localisée peut devenir un engrenage. »

Autre risque pour les Américains : se trouver embarqués dans une confrontation entre la Chine et l’un de ses alliés de la région qui contestent ses revendications de souveraineté. En particulier les Philippines. Sollicité par Manille, l’arbitrage de la Cour international de La Haye en juillet 2016 a déclaré sans fondement juridique les « droits historiques » revendiqués par Pékin en mer de Chine du Sud. Certes, l’actuel président philippin, qui préfère attirer les investissements chinois dans l’archipel, a écarté avec mépris ce « bout de papier » bon à « mettre à la poubelle ». Mais l’armée philippine est historiquement attachée aux États-Unis et le pays tient à son intégrité territoriale.

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Ces dernières semaines, un groupe d’îlots inhabités au large de la mer des Philippines occidentales a fait parler de lui : le récif de Whitsun. Près de 200 chalutiers de pêche chinois ont jeté l’ancre au large de ce récif. Ce type de flotte s’apparente désormais à une véritable milice maritime. Son rôle : servir d’avant-poste de la marine chinoise.

Or Whitsun est crucial : c’est la partie nord-est de l’atoll submergé de Union Banks, « la structure récifale la plus importante de la mer de Chine du Sud », précise François-Xavier Bonnet. La Chine y occupe deux récifs et si elle prend le contrôle de Whitsun, elle peut construire une grande base navale avec des bombardiers capables de toucher l’île américaine de Guam.

Les Américains sont également très inquiets d’une base aérienne chinoise déjà existante : Pékin a construit sur le récif de Fiery Cross, dans les îles Spratleys, une piste de 3 000 mètres et prépare son extension. De là, un bombardier chinois avec ravitailleur peut déjà atteindre les côtes australiennes. « Scarborough, Fiery Cross, Union Banks et Mischief, en reliant tous ces groupes d’îles, Pékin pourrait contrôler la mer de Chine du Sud sur les plans aérien, naval mais aussi sous-marin », synthétise François-Xavier Bonnet.

Pour comprendre le tableau d’ensemble, il faut regarder la profondeur des mers, souligne Antoine Bondaz. « La mer de Chine du Sud est la seule mer périphérique de la Chine avec des hautes profondeurs, où l’on peut diluer des sous-marins, ce qui est très important pour sa dissuasion nucléaire. Pour l’instant, ses SNLE [sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ndlr] ne peuvent pas atteindre la côte ouest des États-Unis. Or la Chine a un complexe d’insécurité : elle se sent encerclée par le système d’alliance américain selon une courbe en « J » partant du Japon vers Taïwan, les Philippines puis l’Australie. Il lui est donc nécessaire de briser cet encerclement, de récupérer Taïwan, mais aussi de faire de la mer de Chine du Sud un sanctuaire. »

Face à la montée en puissance stratégique de la Chine, Washington a besoin de pouvoir compter sur tous ses alliés dans la région. C’est là que les Philippines de Rodrigo Duterte se révèlent un facteur instable. Le volatile président philippin menace d’abroger le Visiting Forces Agreement (VFA), qu date de 1999. « Cet accord permet aux militaires américains d’avoir un accès facile aux bases militaires philippines sans avoir de présence permanente à l’heure où ils se désengagent d’Afghanistan, explique François-Xavier Bonnet. Les États-Unis peuvent ainsi faire face à un coup dur dans la zone en cas de conflit à Taïwan. » Pour faire le dos rond, les Américains ont proposé de renégocier l’accord. Mais Duterte freine des quatre fers : pas question pour lui de provoquer Pékin et de risquer une invasion chinoise du nord des Philippines. Le serpent se mord la queue.

Mer de Chine orientale : la zone grise

Il y a seulement quelques années, les tensions entre la Chine et le Japon en mer de Chine orientale menaçaient de déraper en un nouveau conflit majeur. En 2012, le gouvernement nippon rachète les îles Senkaku – nommées Diaoyu par Pékin qui les revendique – à 600 km d’Okinawa. Ces îlots inhabités riches en hydrocarbures et en poissons appartenaient jusque-là à une famille japonaise. En les acquérant, les autorités veulent empêcher Shintaro Ishihara, le maire nationaliste de Tokyo, de les racheter et d’envenimer les relations avec Pékin. Mais cette « nationalisation » provoque quand même la colère des Chinois. Dès lors, les incursions de leurs navires dans la zone se multiplient et conduisent à des accrochages heureusement sans conséquences. Le pic d’incursions est atteint en 2013. Aujourd’hui, si leur nombre a nettement baissé, elles se poursuivent.

Comment réagiraient les États-Unis en cas de conflit ? Ici, les choses sont plus claires qu’ailleurs dans la région : les Américains reconnaissent ces îles disputées comme partie intégrante du Japon. Une agression chinoise activerait automatiquement le traité de défense mutuelle nippo-américain.

Ainsi, pour Mathieu Duchâtel, « c’est en mer de Chine orientale que le risque d’incident entre la Chine et les États-Unis est aujourd’hui le plus faible. La capacité de dissuasion du Japon est crédible, même si les incursions chinoises dans les 12 miles nautiques des Senkaku/Diaoyu sont un « défi en zone grise » difficile à appréhender, car ce sont des garde-côtes et non la marine chinoise. La posture de dissuasion japonaise est renforcée par la clarté de la garantie de sécurité américaine, qui s’applique explicitement aux Senkaku. Les passages de la marine chinoise et des forces aériennes dans le détroit de Miyako sont surtout à ce stade un sujet bilatéral Chine-Japon. »

Selon le chercheur de l’Institut Montaigne, « le cas de la mer de Chine orientale, comparé à la mer de Chine du Sud, montre bien que la Chine ose moins avancer quand le rapport de force lui est clairement défavorable. Ce qui est le cas avec l’alliance nippo-américaine. »

(SELON MSN)

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