Le chef du Congrès péruvien, Manuel Merino, a endossé, mardi 10 novembre, la fonction de président du pays, au lendemain de la destitution par ce même Parlement de l’ex-président Martin Vizcarra, qui a mis en cause la « légitimité » de son successeur.
« Je jure par Dieu, par le pays et par tous les Péruviens que j’exercerai fidèlement » la fonction de président, a déclaré M. Merino, un ingénieur agronome de centre droit de 59 ans presque inconnu des Péruviens, qui devient le troisième président du pays andin depuis 2016.
- Vizcarra est remplacé par le président du Congrès, le poste de vice-président étant vacant depuis la démission non remplacée de Mercedes Araoz, il y a un an, lors d’une crise politique distincte.
Une trentaine d’arrestations
Dans les rues du centre historique de Lima, proches du Parlement, quelque 600 policiers ont dispersé avec du gaz lacrymogène des groupes de manifestants hostiles à la procédure de destitution, approuvée lundi par 105 parlementaires sur 130. Une trentaine de manifestants ont été arrêtés et plusieurs personnes blessées, selon la police et des médias locaux. D’autres manifestations se sont déroulées dans des grandes villes du pays.
Lors de son premier discours devant le Parlement, M. Merino a assuré que son « premier engagement (…) [était] de respecter le processus électoral en cours ». « Personne ne peut changer la date des élections prévues pour le 11 avril 2021 », a-t-il affirmé. Il a ensuite appelé à l’« unité » nationale et a promis qu’il quitterait ses fonctions le 28 juillet, date à laquelle le mandat de M. Vizcarra devait prendre fin.
- Vizcarra, qui avait annoncé lundi qu’il ne ferait pas d’obstruction judiciaire à sa destitution pour « incapacité morale », a remis en cause mardi « la légalité et la légitimité »de l’accession au pouvoir du président du Congrès. « Je suis inquiet, comme beaucoup de Péruviens, car une autorité a besoin de deux principes et conditions de base pour pouvoir exercer son autorité : la légalité et la légitimité », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter :
« La légalité est remise en question parce que la Cour constitutionnelle n’a pas encore statué et que la légitimité est donnée par le peuple. »
La Cour constitutionnelle doit se prononcer en décembre sur la portée de « l’incapacité morale » qui a visé M. Vizcarra lors d’une première motion de destitution, présentée en septembre par le président du Congrès mais rejetée par les parlementaires.
- Vizcarra s’est également engagé à collaborer avec le bureau du procureur dans les enquêtes sur les allégations de pots-de-vin présumés qu’il aurait reçus en tant que gouverneur en 2014, accusations qu’il nie et qui ont servi d’argument au Parlement pour le destituer.
« Un coup d’Etat déguisé »
Pour George Forsythe, candidat probable à la présidence, la destitution de M. Vizcarra, qui dispose d’un niveau record de popularité après ses trente-deux mois à la tête du pays, est semblable à « un coup d’Etat déguisé ». L’ancienne candidate de gauche à l’élection présidentielle, Veronika Mendoza, a estimé « honteux et scandaleux ce qui s’est passé au Congrès », tandis que l’archevêque catholique de Lima, Carlos Castillo, a déclaré que le Congrès n’avait pas « le sens des proportions » en révoquant le président.
Selon de récents sondages, 54 % des Péruviens soutiennent M. Vizcarra et 78 % estiment que l’enquête sur les allégations de corruption aurait dû attendre la fin de son mandat.
La prise de pouvoir de M. Merino suscite de vives craintes dans les secteurs économique et financier en raison des initiatives populistes du Parlement qui, selon les analystes, nuiraient au maintien de l’équilibre macroéconomique du Pérou. D’autant que la Banque centrale prévoit une baisse de 12,5 % du produit intérieur brut (PIB) en 2020 à cause de la pandémie – qui a fait 35 000 morts dans le pays. Mardi, la Bourse de Lima chutait de 6,5 %.