Dans l’histoire de la musique arabe peu de figures ont marqué aussi profondément leur époque qu’Oum Kalthoum (1900-1975). Cinquante ans, après sa disparitions son influence continue de résonner bien au-delà des frontières de l’Égypte, témoignant d’un héritage qui dépasse largement le cadre artistique pours’inscrire dans les dimensions politiques et sociales du monde arabe contemporain.
Une ascension remarquable dans l’Égypte du début du XXe siècle
Issue d’un milieu rural modeste du Delta du Nil, Oum Kalthoum incarne une trajectoire sociale exceptionnelle dans l’Égypte du début du XXe siècle. Fille d’imam, elle reçoit une formation initiale en psalmodie coranique, fondement technique qui marquera durablement son style vocal. Cette formation religieuse, combinée à des performances précoces où elle se produisait déguisée en garçon, pose les bases d’une carrière qui transcendera les conventions de son époque.
Innovation artistique et maîtrise du « tarab »
L’originalité d’Oum Kalthoum réside dans sa capacité à fusionner tradition et modernité. Dans le Caire cosmopolite des années 1920, elle développe une approche novatrice du chant arabe, caractérisée par une sobriété qui contraste avec les tendances de l’époque. Sa maîtrise du tarab» – l’extase musicale propre à la tradition arabe – devient légendaire. Ses performances, souvent marathoniennes, où une seule chanson pouvait s’étendre sur plus d’une heure, établissent un nouveau paradigme dans l’interprétation musicale arabe.
Une figure centrale du nationalisme arabe
L’importance d’Oum Kalthoum dans l’histoire politique égyptienne mérite une attention particulière. Sa collaboration avec le président Gamal Abdel Nasser illustre le rôle crucial des artistes dans la construction du nationalisme arabe post-colonial. Plus qu’une simple chanteuse, elle devient un instrument de softpower égyptien, particulièrement après la révolution de 1952. Sa contribution au trésor public égyptien à travers ses tournées internationales, notamment après la guerre des Six Jours de 1967, témoigne d’un engagement politique concret.
Pionnière du féminisme égyptien
Dans une société égyptienne en pleine mutation, Oum Kalthoum s’impose comme un modèle d’émancipation féminine. Sacapacité à naviguer dans un milieu traditionnellement masculin, tout en maintenant un contrôle strict sur sa carrière et son image, en fait une figure pionnière du féminisme égyptien. Son influence s’étend bien au-de là de la sphère artistique, encourageant une génération de femmes à participer activement à la vie publique.
Héritage et postérité
Le décès d’Oum Kalthoum le 3 février 1975 provoque une manifestation de deuil populaire sans précédent, transformant ses funérailles en événement historique. Cinquante ans plustard, son influence continue de se manifester dans la musique arabe contemporaine. Surnommée «L’Astre d’Orient» ou «La Quatrième pyramide d’Égypte», elle demeure une référence incontournable de la culture arabe, symbole d’une époque où art et engagement politique se conjuguaient étroitement.
Cette figure complexe, à la fois gardienne de la tradition et agent de modernisation, incarne les paradoxes et les aspirations d’une société arabe en pleine mutation. Son héritage, loin de se limiter à sa contribution musicale, continue d’alimenter les réflexions sur le rôle des artistes dans les transformations sociales et politiques du monde arabe.
Sara Boueche