Très connue du public pour sa célèbre prestation dans le film «Le vent des Aurès» de Mohamed Lakhdar-Hamina et d’autres grands films algériens, la comédienne Keltoum aura été l’une des premières femmes algériennes à s’imposer sur les planches du théâtre et dans l’univers des arts du spectacle, ouvrant ainsi la voie à de grandes carrières féminines.
Combattant autant les préjugés familiaux que sociaux de l’époque pour s’imposer dans un univers artistique algérien en gestation, Keltoum, Aïcha Adjouri de son vrai nom, a grandement participé avec Nouria (1921-2020) à changer le regard des metteurs en scène et de la société sur la présence de la femme au théâtre.
Native de Blida en 1916, cette talentueuse de la danse et du théâtre a été repérée par l’incontournable Mahieddine Bachtarzi qui lui a offert sa chance en 1935 en dépit des réticences de sa famille.
Après une grande tournée en France, Keltoum s’oriente de plus en plus vers le théâtre et affirme ses talents de comédienne dans des pièces mises en scène par Mahieddine Bachtarzi, Rachid Ksentini ou encore Habib Réda, avant d’intégrer l’aventure de la première saison arabe de l’Opéra d’Alger en 1947.
Pendant des années, la plupart des rôles féminins étaient confiés à Keltoum et sa voix est également venue s’ajouter au répertoire du théâtre radiophonique, en plus d’avoir enregistré cinq disques dans les années 1940 et 1950 dont «Ya ouled El Ourbane» et «Ahd Thnine».
Après une première pause en 1951 suite à un accident qui l’a éloigné des projecteurs, Keltoum remonte sur les planches dans une adaptation de «Othello» du célèbre William Shakespeare, avant de mettre sa carrière entre parenthèses, entre 1956 et 1963.
Le Théâtre national algérien et le cinéma
Au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale, Aïcha Adjouri rejoint la première institution culturelle de l’Algérie indépendante, le Théâtre national algérien, alors dirigé par Mustapha Kateb, et campe son premier vrai premier rôle dans la pièce «Mariage par téléphone» de Mahieddine Bachtarzi, en compagnie de Rachid Ksentini.
Sa carrière cinématographique va commencer en 1966 avec le réalisateur Mohammed Lakhdar-Hamina, qui va la choisir, dans «Le vent des Aurès», pour la fameux rôle muet de la mère qui cherche désespérément son fils incarcéré par l’armée coloniale, défiant avec courage et obstination les soldats français d’un camp à l’autre avec une indifférence admirable aux menaces et intimidations.
Dans cette oeuvre classique du cinéma algérien, Keltoum se partage l’affiche avec Mustapha Kateb, Mohamed Chouikh, Hassan El Hassani ou encore Hadj Smaine.
Ce film va conduire Keltoum sur le tapis rouge du Festival de Cannes en 1966, où elle sera la première actrice algérienne à représenter une oeuvre de son pays et où le film recevra le Prix de la meilleure première oeuvre.
Sa collaboration cinématographique avec Mohammed Lakhdar-Hamina va se poursuivre avec des films comme «Décembre» et «Hassan Terro», et sa carrière au cinéma va prendre de l’ampleur avec des distributions dans des oeuvres comme «Les Déracinés» de Lamine Merbah, «Les Folles Années du twist» de Mahmoud Zemmouri, «Hassan Taxi» de Mohamed Slim Riad, «Hassan Niya» de Ghaouti Ben Dedouche, une série qui va enrichir sa collaboration avec un autre monument du cinéma et du théâtre, Rouiched.
Ce sont pas moins d’une vingtaine de films qui ont fait appel à l’incroyable talent de Keltoum qui a, cependant, abandonné le chant sans jamais s’éloigner du théâtre où elle a joué dans plus de soixante-dix pièces, confirmant une carrière brillante qui a fortement boosté l’interprétation féminine dans le 4e art.
Keltoum avait fait sa dernière apparition sur les planches, après sa retraite du TNA, aux côtés de Rouiched dans El Bouwaboune en 1991.
Le 11 novembre 2010, le paysage culturel algérien faisait ses adieux à cette artiste emblématique qui a porté avec passion l’art et la culture de son pays, et ouvert la voie aux générations futures.